"Nouvelles fraîches de l’Antarctique" par Valentin GUILLET (promo 2020)
Sortie banquise entre les bergs © Valentin GUILLET - Institut polaire français - TA73
En janvier dernier, je vous ai raconté dans cet article (à retrouver ICI) le début de mon aventure sur le continent blanc. 8 mois se sont écoulés, et bien des choses se sont passées. Enfilez gants, chaussettes, veste et bonnet, oubliez les lunettes de soleil (il n’y en a pas), je vous amène avec moi découvrir l’hiver antarctique !
Après avoir quitté la France le 1er novembre 2022, j’ai débarqué sur la station Dumont d’Urville le 11 novembre. J’y ai pris peu à peu mes marques, au cours de la campagne d’été – qui dure 4 mois et s’étend d’octobre à février. L’effervescence est impressionnante : jusqu’à 80 personnes sur station, des scientifiques, des techniciens, des travaux, beaucoup d’oiseaux, et des journées qui n’en finissent plus, avec un Soleil qui ne se couche jamais. L’énergie est au plus haut. Les mois passent, et, sans qu’on ne le voit vraiment venir (par peur ou déni, peut être), les rotations s’enchaînent, et le personnel présent diminue peu à peu, amenant avec lui quelques déchirements d’amis partis avant même qu’on ait pu pleinement en profiter.
Le dernier bateau, c’est aujourd’hui qu’il part. Il nous laissera seuls, prisonniers des glaces, pour les 8 mois à venir ! Nous serons 23, isolés sur notre île, et alors que l’Astrolabe s’apprête à partir, l’ambiance est étrange. Comme si chacun.e prenait enfin conscience, à cet instant, de la folie de cette décision qu’iel a prise, bien des mois auparavant, sans en mesurer pleinement la portée. C’est bien réel cette fois ! On tâche de dissimuler cette émotion à coup de blagues et de rires forcés, qui sonnent manifestement faux… Le bateau s’éloigne, et déjà, nous réagençons les meubles et espaces du séjour pour marquer la rupture. L’ambiance du repas et du film du soir n’est clairement pas au rendez-vous. Nous prenons enfin la mesure, et, sans que qui que ce soit ne regrette sa décision, il faut la digérer. Nous sommes désormais 23, isolés sur notre île des Pétrels qui fait moins d’1 km². Pas d’approvisionnement ni d’évacuation sanitaire possible, nous sommes en autonomie totale, avec 22 autres personnes que nous ne connaissions pas 3 mois auparavant.
Départ de l’Astrolabe à R4 © Enzo TAHON - Institut polaire français - TA73
Heureusement, dès le deuxième soir –pour ma part– l’ambiance très chaleureuse, qui se rapproche pas mal d’une grande colocation, me rassurera pleinement. “Je suis prêt, et je vais passer parmi les plus beaux moments de ma vie, assurément” me dis-je. Je suis venu pour me confronter à moi-même, à mes limites, à la vie de groupe, à la nature, aux éléments ! Je suis venu affronter la difficulté et apprendre sur moi, en découvrant d’autres personnes inspirantes, dans un contexte stimulant et engageant. Sans possibilité de renoncement, il faudra toujours trouver des solutions et aller de l’avant.
Les jours passent, les journées diminuent rapidement, le Soleil disparaît de plus en plus tôt sous l’horizon, laissant apparaître les premières étoiles. La nuit gagne sur le jour un combat écrit d’avance, nous offrant à voir l’un des plus beaux spectacles de la nature : les aurores. Travaillant de nuit, je réveille tout le monde, pour la première aurore qui s'avère en fait, avec du recul, être ridiculement petite. Mais ça y est, je suis tombé amoureux de ces lumières qui virevoltent dans le ciel, de ces couleurs qui drapent l’horizon et recouvrent les étoiles d’un voile dansant. Je profite de chaque nuit pour immortaliser ces moments, les saisir en photo, mais aussi me plonger dans la neige et les admirer durant des… minutes ! Il fait -25°C, et malgré ma combinaison, je suis glacé jusqu’aux os. Il me faut souvent des heures pour me réchauffer. Le spectacle de la nature a un prix : celui de perdre ses doigts.
Une fois que le sang commence à circuler de nouveau, une des pires douleurs que j’ai connue vous envahit quelques minutes. Les larmes vous montent aux yeux. Mais vous importez les photos sur l’ordinateur, et découvrez des couleurs incroyables, dont je vous donne un aperçu ci-dessous. La douleur s’estompe, et la magie opère une deuxième fois au visionnage des clichés.
Aurores sur la station © Valentin GUILLET - Institut polaire français - TA73
Parfois (souvent), le temps est bien moins clément. A ce jour, nous avons connu 25 tempêtes. Pour être ainsi qualifiée, le vent doit dépasser 50 nœuds moyen (90 km/h) durant 3 heures consécutives. Quand c’est le cas, et pour les pires tempêtes, nous avions un vent moyen à 150 km/h et des rafales à près de 200 km/h, sur des tempêtes qui peuvent durer 3 jours sans interruption. La visibilité, s’il a neigé récemment, est nulle : on voit à peine ses mains, et sortir d’un bâtiment à l’autre pour aller se restaurer s’avère être un véritable exploit sportif. Il faut s’orienter (on s’aide de cordes), tenir debout, et réussir à inspirer et expirer de l’air pris dans un vent à 150 km/h. Quand le vent n’est pas trop fort, ce sont les tempêtes de neiges qui recouvrent la station, bouchant littéralement les portes avec des congères de 2 m de haut, qu’il faut s’empresser de déneiger avant que la neige ne devienne glace.
Le plus gros de la faune s’en va à peu près en même temps que le dernier bateau. Il faut attendre quelques semaines pour que les premiers manchots empereurs apparaissent au loin, alors que nous sommes prisonniers de notre île que la banquise n’a pas encore désenclavée. De longues colonnes se dessinent au loin. Il me faudra attendre avril pour que la banquise soit assez solide pour aller les voir. C’est une rencontre que je ne suis pas prêt d’oublier. Les empereurs se déplacent lentement, mais peuvent parcourir des dizaines de kilomètres. Ils endurent le froid extrême, le vent et la nuit polaire sans sourciller. Leur plumage est très dense et les protège bien. Néanmoins, quand je ne tiens que quelques heures dehors, en étant pourtant très équipé, je ne peux être qu’admiratif face à leur résistance et leur adaptation à cet environnement. Certains manchots plus curieux s’approchent parfois plus près que la distance de 20 m que l’on doit respecter. Je les entends marcher, respirer, et les vois d’un peu plus près, en restant immobile à genoux pour ne pas les effrayer. Les larmes d’émotions coulent, et gèlent sur mes joues glacées… Les premiers œufs arrivent, puis les premières éclosions deux mois plus tard, alors que les femelles sont parties se nourrir en mer et rentrent tout juste à temps pour nourrir les frêles poussins. Ils ne tarderont pas à grossir, à chanter, et à s’émanciper des pattes de leurs parents pour courir découvrir les environs, parfois au péril de leur courte vie et au profit des pétrels géants qui s’en délectent. C’est la dure loi de la nature.
A gauche : Poussin empereur et son parent © Valentin GUILLET - Institut polaire français - TA73
A droite : Prédation de poussin empereur par un pétrel géant antarctique © Valentin GUILLET - Institut polaire français - TA73
Ma principale mission consiste à réaliser des tirs lidar dans la stratosphère pour étudier le cycle de l’ozone. Les détecteurs étant très sensibles, je travaille exclusivement de nuit. L’été austral est plutôt tranquille, mais la nuit polaire est une autre histoire. Au cœur de l’hiver, il fait nuit noire plus de 20h par jour, et sur les semaines où la météo est clémente, il m’arrivait d’enchaîner plusieurs nuits d'affilée. Ne pouvant pas dormir sur le temps de tir, le sommeil était particulièrement réduit. Les mois de juin et juillet ont été très exigeants et assez éprouvants. Le mois d’août sera sans doute pour moi le plus difficile psychologiquement : des nuits encore très longues, mais une météo désastreuse qui a généré beaucoup de frustrations professionnelles sur la station. A cela s’ajoutent les photos de vacances des amis en métropole, le manque de la famille qui commence à se faire sentir, et de nouvelles problématiques à gérer, notamment autour de l’avenir de la Recherche polaire française.
Le mois de septembre sera, quant à lui, le mois le plus prolifique de mon année ici. 155 heures de tir lidar et une météo très clémente. Néanmoins, malgré les longues nuits de travail, les journées rallongent et le moral s’améliore. L’arrivée des successeurs approche à grands pas. Au moment où j’écris ces lignes, il nous reste moins d’un mois d’hivernage, et c’est passé à toute vitesse. J’ai hâte de rencontrer de nouvelles personnes et transmettre le flambeau. Cependant, la vie ici est agréable et très différente de celle qu’on peut connaître en métropole, si bien que l’idée de quitter ces lieux peut s’avérer angoissante. Qu’à cela ne tienne, il me faut de nouveaux défis !
Sortie banquise entre les bergs © Valentin GUILLET - Institut polaire français - TA73
Dans mon précédent article, j’annonçais l’envie de participer à un marathon en 2024 et de m’entraîner tout l’hiver. Malheureusement, le tapis de course n’a pas survécu, tout comme ma motivation à courir dehors par -25°C. L’entraînement sera écourté, mais le défi étant toujours tellement présent dans ma tête, je me suis officiellement inscrit au marathon de Paris prochain ! De plus, une véritable aubaine professionnelle s’est présentée à moi, et m’amènera vers de nouvelles aventures –sans doutes moins extrêmes, mais tout aussi palpitantes– autour des lidars atmosphériques.
Il me reste deux mois et demi sur la station. C’est à la fois court face à tout ce que j’aimerais encore faire, et très long. Il ne faut pas relâcher les efforts à ce stade. Il faut continuer d’être présent pour les autres, pour la vie de station, et émotionnellement disponible pour accueillir et rencontrer nos successeurs boostés à bloc. Il faut continuer d’être alerte, efficace au travail et investi dans nos relations aux autres, malgré une perte claire de vivacité d’esprit, d’énergie et de tolérance, et une sensibilité très fortement accrue.
La fatigue a peu à peu fait son travail. Il va falloir aller puiser dans de nouvelles ressources pour tenir jusqu’au bout et profiter au maximum de l’expérience.
Voie lactée sur la station © Valentin GUILLET - Institut polaire français - TA73
Il est bien trop tôt pour tirer un bilan de cette expérience, et comprendre tout ce qu’elle aura pu m’apporter. Il est clair que je rentrerai changé et enrichi d’une bien meilleure connaissance de mes limites et de ma place dans un groupe. Il est cependant pour moi très difficile d’évaluer ces changements sans me confronter à celles et ceux qui me connaissent d’avant, et au monde actuel, loin de cette bulle enchantée. Je vous donne donc rendez-vous pour un troisième article, qui permettra pour moi de fermer correctement cette parenthèse.
Vous avez pu retrouver ma rencontre avec Thomas Pesquet depuis l’Antarctique dans une précédente newsletter ! N'hésitez pas à visiter mon blog pour d’autres anecdotes et étapes de vie que je n’ai pu détailler ici. Enfin, pour ne rater aucune nouvelle, vous pouvez me suivre sur les réseaux sociaux (ci-dessous).
Valentin
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