"Interview avec Thomas Pesquet" par Valentin GUILLET (promo 2020)
Valentin Guillet (Crédit Louis Grauvin - Institut polaire français - 2022)
Si la vie en Antarctique finit par trouver une forme de routine, certains événements sortent clairement de l’ordinaire. Imaginez-vous dans votre lit, à moitié endormi, recevant un message de votre médecin préférée vous signalant que vous allez pouvoir échanger avec Thomas Pesquet dans 30 minutes …
Thomas Pesquet s’est créé une place de choix dans mon Panthéon des vivants. Humble, charismatique, passionné, il incarne les valeurs de travail, d’engagement et de responsabilité qui comptent beaucoup pour moi. Alors que j’étais encore en classes préparatoires, concentré sur le bachotage pour les concours, sa première mission Proxima était, pour moi, un moyen de m’évader et de croire en mes rêves, alors que la période était psychologiquement difficile. J’ai suivi sa première EVA (sortie extra-véhiculaire) dans ma petite chambre d’internat, les larmes aux yeux de voir un français vivre une telle expérience, et la partager avec tant de passion, qu’il nous fait vivre nos rêves par procuration ! Enfant, j’ai toujours rêvé d’être astronaute, et cette petite flamme ne m’a jamais vraiment quitté, malgré les désillusions, quand j’ai appris que mon handicap visuel était un frein absolu. Quoi que je fasse, quelle que soit l’énergie que je donnerai pour apprendre, gagner des compétences, travailler mes relations aux autres, je resterai cloué au sol par ces yeux. Enfant, je trouvais cela particulièrement injuste, et alors que je rêvais d’étoiles, et passais beaucoup de temps à les observer, j’ai fini par comprendre que l’atmosphère terrestre resterait mon seul terrain de jeu. Thomas Pesquet m’aura permis de toucher mon rêve du doigt, et, avec mon empathie légendaire, de m’amener dans sa valise, le temps de 2 missions !
Alors, quand j’ai reçu ce message, sans autres signes annonciateurs, j’ai d’abord cru à une blague ! Mon sang n’a fait qu’un tour, que déjà, j’étais habillé et prêt à rejoindre mes camarades d’expédition, qui terminaient la soirée autour d’un verre. Ma fatigue d’une semaine intense de travail, et la perspective de me lever tôt le lendemain pour une journée de service base suivie d’une nuit de travail, étaient déjà oubliées. Une excitation partagée sur la station parmi les personnes encore levées. Émilie, ma médecin préférée, connaissant mon admiration pour le personnage, a bien fait de me réveiller. On s’est alors retrouvés au séjour, confortablement installés dans les canapés, à attendre avec impatience que la visio ne débute …
Mais au fait, qu’est-ce qui amène un astronaute à discuter avec toutes les stations polaires et subpolaires françaises, en pleine nuit, au cœur du mois de juillet ? Il se trouve que la collaboration entre l’Institut polaire français et l’Agence spatiale européenne est forte. La station Concordia, située au cœur du continent Antarctique, à 3200 m d’altitude, exposée à des conditions de températures extrêmes (-80°C l’hiver), représente un environnement précieux pour la recherche spatiale. Un médecin de l’ESA y hiverne chaque année, et des études sur la psychologie, l’épidémiologie et la toxicologie y sont menées pour préparer les longs voyages vers la Lune ou Mars, sur des bases reculées. Concordia est en quelque sorte l’expérience qui se rapproche le plus sur Terre d’un séjour dans l’espace, et c’est dans ce cadre que Thomas Pesquet est venu visiter le siège de l’Institut polaire en métropole. Il viendra peut-être visiter la station Concordia à la prochaine campagne d’été …
Et, comme il était au siège, l’occasion était trop belle pour ne pas nous convier à sa conférence dédiée aux employés de l’Institut. Après avoir parlé un long moment de son dernier séjour dans l’espace pour la mission Alpha, sur fond de vidéos, nous avons pu lui poser tout un tas de questions !
En apesanteur, le temps était comme suspendu. Mes camarades de mission m’ont laissé la primeur ! J’avais mille questions en tête, j’aurais aimé le remercier pour le travail qu’il mène, pour l’émotion qu’il a pu m’apporter lors de ses missions, pour l’énergie qu’il donne à tout un chacun de croire en ses rêves et de tout faire pour les vivre ! J’avais envie de lui dire que j’espérais le revoir dans l’espace au plus vite pour vivre de nouvelles missions encore plus engageantes que l’ISS, et que je suivrai de près ses aventures ! J’avais envie de le remercier pour son engagement autour des enjeux climatiques, et lui demander quelles émotions il avait ressenties quand il a vu la Terre depuis l’Espace, et si sa vision de la fragilité des écosystèmes avait évolué avec son expérience ? J’avais envie de lui demander si, à coup de 16 tours de la Terre par jour, il n’avait pas le tournis …. Mais le temps de parole était limité, il y avait 5 stations et 2 à 3 questions par district !
Une audience attentive (Crédit Valentin Guillet - Institut polaire français - TA73
Thomas Pesquet à l'IPEV (Crédit Rémi Traverse - Institut polaire français)
La question qui m’est finalement venue : Après 2 superbes missions dans l’espace, et en sachant qu’a priori il n’y aurait plus de mission pour lui dans l’ISS, comment on rebondit pour trouver de nouveaux défis ? Évidemment, la question était très personnelle, puisqu’après une année en Antarctique, l’envie de trouver de nouveaux défis est grande et j’avais envie de l’entendre sur le sujet (je vous parlerai de mes projets à venir dans un prochain article). Sa réponse fût d’abord très ambitieuse, puisqu’il nous parla des prochains défis de l’exploration spatiale, la Lune, Mars, et de son envie d’en être ! Puis il a pris le temps de nous détailler davantage les émotions qu’il pouvait ressentir et la difficulté de rebondir, en sachant que la Lune et Mars n’étaient pas pour tout de suite et qu’il n’était pas certain d’y participer. J’ai vraiment apprécié l’aspect inédit de ses propos, alors que j’ai plus ou moins écouté toutes ses interviews et reportages. Le cadre informel et privé des échanges, ainsi que le parallèle avec la mission que nous vivons ici, m’ont permis d’apprendre beaucoup plus. Viendront ensuite les questions de Servane, de Louis, puis des autres districts, qui nous renseigneront sur ce qu’il a vécu, les projets qu’il a préférés, les anecdotes de son voyage. Le tout en switctchant entre le français et l’anglais pour que nos camarades italiens de Concordia saisissent le propos.
Cette visioconférence avec Thomas Pesquet, en pleine nuit, restera pour moi un souvenir important de cet hiver, qui décidément, m’offre un paquet d’opportunités incroyables. Un moment inspirant que je ne suis pas prêt d’oublier. Peut-être croiserai-je Thomas en Antarctique lors de la prochaine campagne d’été. Et là, je retrouve mon âme d’enfant rien qu’à l’idée d’y penser !
Un grand merci à l’IPEV de nous avoir permis cette expérience, en nous invitant à les rejoindre pour cette entrevue. L’expérience, vécue d’ici prend un sens tout particulier. Merci également à Thomas Pesquet pour sa disponibilité, sa sincérité, sa sympathie et sa convivialité qui mettent tout le monde à l’aise. Merci enfin à mes co-hivernant.e.s de m’avoir laissé poser une question, en conscience de ce que ça représente pour moi, vous êtes au top !
Valentin
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